Collectif Sapin

Tout commence il y a 10 ans, nous sommes une trentaine, en plein boom économique de notre entreprise de déforestation en Sibérie. L’esprit entrepreneurial nous fait oublier les principes même de sécurité : on en veut plus, toujours plus. L’hiver sibérien ne pèse pas lourd face à cette commande de 10 000 000 de sapins pour le port de Shanghai. Les machines se mettent en branle, furieuses, voraces, aveugles. Dans le blizzard, le vert sapin se transforme en rouge sang, et la neige revêt alors un manteau bien plus sombre… Nous nous étions rendus responsables de la mort de la moitié d’entre nous.

Que faire ? Où aller ? L’Argentine ? Non, trop évident. Nous choisîmes alors la France, pour son esprit des lumières et son “art de vivre” vinicole qui fait oublier les soucis. De trente jeunes loups capitalistes, nous passons à quinze jeunes gauchos qui cherchent à se repentir dans le format associatif, par exemple lors d’ateliers où l’on fait gigoter des Mickeys, ou dans des revues niaises ayant pour nom des objets du quotidien, quotidien qui était devenu le nôtre. Parasol l’été, Parapluie l’hiver. Toujours abrités, toujours planqués, fuyants notre passé criminel. Et un seul nom pour réunir toute cette mascarade: “SAPIN”, ironie funeste, dernier hommage camouflé à nos disparus, dont on doit à présent taire les noms.

Les sirènes de police nous font transpirer à grosses goûtes, on se réunit le soir en se lançant des regards sombres. “T’as rien balancé, pas vrai ?” “Non, et toi ?” “Non plus” “Bien” “On se dit quelle heure demain ?” “10h, je préfère le matin, je me sens moins coupable du sang que j’ai sur les mains” “OK, à demain”.